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| 23/11/2016

Johan Hamel (L1) : « Arbitrer des matchs de foot de haut niveau, c’est du management »

Rencontre avec Johan Hamel, 36 ans, résidant à Jacou (34), arbitre Fédéral 1 depuis 2015, et directeur de l’IFTP LR (230 apprentis, 38 formateurs rattachés, 5 sites gérés en ex-LR), sur les liens entre sport de haut niveau et la performance en entreprise. La Lettre M publie ce 13/12 un Mag « Économie et Sport ».

Retracez-nous votre carrière d’arbitre de football.
J’arbitre en Ligue 1 depuis 2015. Au total, j’en suis à 27 matchs arbitrés. Auparavant, j’ai officié trois ans en Ligue 2 et quatre ans en National. La sélection est dure, et s’apparente à celle que connaissent les clubs. Nous sommes notés pendant toute la saison. Par exemple, chaque année, sur 20 arbitres de Ligue 2, trois montent en Ligue 1, trois descendent en National, et les autres restent en Ligue 2. Les trois moins bien classés de Ligue 1 descendent.

Avec une anecdote vous concernant, datant de 2011…
J’étais alors arbitre en National, et m’apprêtais à aller arbitrer un match à Bayonne. Mais un mouvement de contestation touchait les arbitres de Ligue 1. La direction technique de l’arbitrage m’a appelé le vendredi soir pour m’informer que j’irai arbitrer, dimanche soir… Marseille-Lille, match décisif dans la course au titre de Ligue 1, au stade Vélodrome. La pression autour de ce match était incroyable.

Comment avez-vous préparé psychologiquement ce défi ?
Je me suis retiré le week-end dans les Cévennes en famille. Je me suis dit : ‘N’intellectualise pas, cela reste un match de football. Et si tu sais arbitrer un match de National, tu sais arbitrer un match de Ligue 1.’

Quelle est votre préparation physique ?
Un arbitre court environ 12 km par match. C’est davantage que les joueurs eux-mêmes, car nous suivons le ballon, alors que les joueurs évoluent en zone. Nous sommes soumis à des tests physiques très pointus, deux fois par an à Clairefontaine. Le prochain est le 7/12. Ces tests de 25 minutes, basés sur l’explosivité et une série d’allers/retours sur un terrain, sont très exigeants. On commence à 9 km/h pour finir à 18,5 km/h. Cela induit une hygiène de vie irréprochable, sur l’entraînement bien sûr, mais aussi l’alimentation, l’alcool et le sommeil. L’entraînement est quotidien, et se partage entre séances de foncier, séances sur terrain (placement, vivacité) et musculation en salle de sport. Un planning précis doit être respecté. Un système GPS remonte les données au préparateur physique national. Il vérifie que nous travaillons dans les bons critères - rythme cardiaque par exemple.

Quelle est pour vous la prochaine étape ?
Faire partie des arbitres d’élite nationaux serait un nouveau tremplin dans ma carrière. J’espère y arriver en juin prochain. Cela supposerait, pour moi, de passer en contrat professionnel, alors que je suis actuellement semi-professionnel.

Restez-vous actif à l’IFTP ?
Bien sûr. J’y suis à 80 %. J’ai la chance d’avoir à mes côtés une équipe autonome et performante, ce qui me permet de me libérer pour les entraînements et les stages de préparation. Je travaille beaucoup à distance, et essaie de m’entraîner au maximum entre midi et deux pour pouvoir garder du temps pour ma famille. Il faut respecter le triptyque entraînement-vie professionnelle-famille, pour maintenir un équilibre mental. Cet équilibre est une condition sine qua non pour prendre les bonnes décisions sur le terrain.

Quel lien établissez-vous entre sport de haut niveau et performance en entreprise ?
Il y a une vraie transversalité entre ces deux mondes. Arbitrer des matchs de haut niveau, c’est du management. Je manage par la parole bien sûr, mais aussi par les gestes et le regard. Par exemple, quand un joueur vient contester une décision, je délimite une zone en tendant le bras pour marquer mon espace personnel, que l’on ne pénètre pas.

Quelles phrases-clé utilisez-vous pour déminer des situations chaudes ?
(il réfléchit quelques secondes) Le principe de base consiste à vouvoyer les joueurs. Même ceux que je connais très bien. C’est indispensable pour être respecté de tous les joueurs présents sur le terrain. Les phrases-clé doivent être très courtes et rassurantes. Quelques-unes de ces phrases : « J’ai vu », « Je compte sur vous », « On passe à autre chose, on finit le match ensemble ». C’est une façon de prendre le joueur avec moi. Je ne joue contre personne. Je suis partenaire, pas adversaire des équipes.

Comment préparez-vous techniquement les matchs ?
Je regarde les deux derniers matchs de chaque équipe que je vais arbitrer. Il s’agit d’anticiper les zones du terrain dans lesquelles elles aiment jouer, de connaître leur schéma tactique, etc. Il faut également anticiper la réaction des joueurs. Certains joueurs sont pollueurs, d’autres sont constructeurs. Idem pour l’attitude des bancs de touche. Il ne faut surtout pas être dans la réaction mais dans l’anticipation… comme doit l’être un manager en entreprise.

Comment décompresser ?
Il faut savoir prendre du recul sur les situations. C’est indispensable, surtout quand toute la presse s’acharne sur vous après une erreur d’arbitrage. Pour ce faire, je me recentre sur ma famille. C’est un retour aux bases. C’est une façon de se retrouver, et de passer vite à autre chose. Le travail est aussi un bon exutoire. J’ai la chance d’être entouré, dans le staff administratif de l’IFTP LR, de femmes qui ne s’intéressent pas au football. Le lundi matin, quand je les retrouve, elles ne savent pas si j’ai oublié de siffler un pénalty. Ça ne les intéresse pas, et ce contexte me va très bien.

Votre image sert-elle celle de l’IFTP ?
Il n’y a quasiment que des garçons parmi les apprentis. Forcément, ils me posent des questions après m’avoir vu à la télé. Une relation se crée. L’IFTP LR vient d’ouvrir une unité à Millau (Bac Pro TP), avec 8 apprentis au lycée Jean Vigo. Notre modèle de CFA sans mur est rentable. Il coûte peu cher aux collectivités, affiche 99 % de réussite aux examens et 85 % d’embauche à la sortie de la formation.

Jouez-vous au football ?
(sourire) J’ai joué à Vendargues (34), en PH, comme gardien de but, après un sport-études au lycée Daudet à Nîmes (30). Une fois que j’ai commencé l’arbitrage, j’ai dû choisir.

Quelles sont vos relations avec les médias ?
Certes, ils ne nous font pas de cadeau. Mais globalement, on peut échanger, et c’est plutôt constructif. Pascal Garibian, directeur technique de l’arbitrage, a réinstauré un bon climat. C’est un excellent technicien de l’arbitrage, et aussi un spécialiste de la communication. Du coup, les choses se sont apaisées. Mais de fausses idées continuent d’être véhiculées par certains consultants : nous donnerions plus de cartons (sanctions aux joueurs, NDLR) en France qu’ailleurs, nous ne serions pas performants au niveau international… C’est faux. Clément Turpin, meilleur arbitre français actuel, a été sélectionné pour l’Euro 2016 et les Jeux Olympiques. Nos arbitres évoluent en Champions’s League (coupe d’Europe, NDLR).

À quel âge sonne la retraite pour un arbitre professionnel ?
Tant que l’on réussit les tests physiques, on peut continuer. Pour ma part, si je me maintiens dix ans en Ligue 1, je pourrai dire que j’aurai fait une très belle carrière.

Etes-vous favorable au vidéo-arbitrage ?
La France est retenue pour bénéficier d’expérimentations. Le protocole est enclenché. Mais il faut garder une part d’instinct. D’autant plus que certaines situations, même après vidéo, restent à 50/50.

Hubert Vialatte / vialatte@lalettrem.net
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